On était venu surtout pour entourer ma famille et souffrir avec elle. On avait apporté des fleurs jaunes, des cakes au jambon, des prières imprimées. On égrenait les billes de chapelet comme on s’inflige une pénitence. L’heure n’était pas aux réjouissances. Ma naissance était bien une peine. Il fallait montrer de la gravité, faire preuve d’affliction. On chuchotait en se retenant de sourire. On poussait des soupirs compassés, on se penchait sur mon berceau et on murmurait des regrets.

On embrassait ma mère :

« Ma pauvre chérie, entendait-on. Nous sommes de

tout cœur avec toi. N’hésite pas si tu as besoin d’aide… »

Mes premiers jours ressemblaient à une veillée mortuaire. Il est vrai que, dans ma petite balance, la mort pesait bien plus que la vie. Personne n’était dupe de ma triste destinée. Mais ma mère ne supportait pas les mines d’enterrement. Elle n’en pouvait plus des humeurs funèbres. Elle avait dû renvoyer tout le monde dans son foyer et claquer la porte. Elle refusait le deuil qu’on lui infligeait par anticipation. Non, le temps des condoléances n’était pas arrivé.

Par la force des choses, j’étais un bébé sage. Je ne savais pas pleurer. Cela n’aurait servi à rien d’ailleurs, car je n’avais rien à réclamer. J’étais bien trop faible pour avoir des envies, bien trop vulnérable pour avoir des peurs. Je ne devais ma subsistance qu’à la volonté des autres, pas à la mienne.